18
Le secret de la
vallée du Gardien

 

 

— La vallée du Gardien, déclara solennellement Bruenor.

Les compagnons se tenaient sur une haute saillie rocheuse et regardaient le fond accidenté d’une gorge profonde et rocailleuse situé des centaines de mètres en contrebas.

— Comment allons-nous descendre ? demanda Régis avec effarement, car chaque versant tombait à pic, comme si le canyon avait été taillé directement dans la pierre.

Il y avait une voie qui permettait de descendre, bien sûr, et Bruenor, toujours habité par les souvenirs de sa jeunesse, la connaissait bien. Il guida ses amis jusqu’à la périphérie est de la gorge et regarda vers l’ouest, en direction des pics des trois montagnes les plus proches.

— Tu te tiens sur Quatre Pics, expliqua-t-il, nommée pour sa situation à côté des trois autres pics. « Trois pics qui n’en font qu’un », récita le nain, un vers d’une très vieille et plus longue chanson que tous les jeunes nains de Castelmithral apprenaient avant d’être assez âgés pour s’aventurer hors des mines.

Trois pics qui n’en font qu’un

Derrière toi, le soleil du matin.

Bruenor se déplaça de-ci de-là pour trouver la ligne exacte des trois montagnes à l’ouest, puis avança doucement tout près du bord du défilé et regarda en bas.

— On est arrivés à l’entrée du Val, déclara-t-il calmement, mais son cœur battait la chamade.

Les trois autres s’avancèrent pour le rejoindre. Ils virent une marche sculptée dans la pierre, juste au-dessus du bord, la première d’une longue volée qui descendait la face de la falaise, et parfaitement camouflée par la coloration de la pierre, de telle sorte que la construction tout entière était pratiquement invisible, quel que soit l’angle d’où on la regardait.

Régis tomba presque en pâmoison lorsqu’il regarda, pas loin d’être terrassé à l’idée de descendre sur des centaines de mètres un étroit escalier dénué de toute rampe.

— Nous allons nous rompre le cou ! glapit-il en reculant.

Mais une fois encore, Bruenor ne demandait l’opinion de personne et n’était pas disposé à écouter les protestations. Il se mit à descendre, et Drizzt et Wulfgar lui emboîtèrent le pas, ne laissant pas à Régis d’autre choix que de les suivre à son tour. Ils comprenaient toutefois son désarroi et l’aidèrent du mieux qu’ils purent, Wulfgar le prit même dans ses bras lorsque le vent commença à souffler fort.

La descente fut lente et laborieuse, même avec Bruenor en tête, et des heures semblèrent s’être écoulées avant que la pierre qui tapissait le fond du canyon se rapproche.

— Cinq cents à gauche, puis cent encore, chantonna Bruenor lorsqu’ils parvinrent enfin en bas.

Le nain longea la paroi en direction du sud, comptant ses pas et guidant les autres, passant devant des piliers de pierre imposants, magnifiques monolithes venus du fond des âges qui, vus d’en haut, ressemblaient à de simples amas de gravats. Même Bruenor, dont le peuple avait vécu ici pendant de nombreux siècles, ne connaissait aucune légende racontant la création ou la signification des monolithes. Mais quelle qu’en soit la raison, ils se dressaient depuis d’innombrables siècles au fond du canyon, sentinelles imposantes, séculaires avant même l’arrivée des nains, jetant des ombres menaçantes et rabaissant les simples mortels qui avaient jamais foulé ce sol.

Le vent, en passant entre eux, semblait pousser un cri étrange et plaintif. Et ces colonnes conféraient à tout le fond du canyon une aura surnaturelle, intemporelle, comme celle du fort du Héraut, et rappelaient leur mortalité à ceux qui les contemplaient, comme si les monolithes, du haut de leur éternelle présence, se moquaient des simples mortels.

Bruenor, indifférent aux tours, finit de compter ses pas.

Cinq cents à gauche, puis cent encore,

les contours cachés de la porte dérobée.

Il observa la paroi qui se dressait à côté de lui, l’inspectant afin d’y repérer des marques qui indiqueraient l’entrée des halls.

Drizzt fit lui aussi courir ses mains sensibles sur la pierre lisse.

— Tu es sûr ? demanda-t-il au nain après de longues minutes de recherche, car il n’avait senti aucune aspérité.

— Oui, j’suis sûr ! déclara Bruenor. Mon peuple était astucieux dans ses travaux et j’pense que la porte est trop bien dissimulée et qu’il n’est pas facile de la trouver.

Régis s’approcha pour les aider, tandis que Wulfgar, mal à l’aise dans l’ombre des monolithes, montait la garde.

Quelques secondes plus tard, le barbare remarqua un mouvement venu de l’endroit d’où ils étaient arrivés, près de l’escalier de pierre. Il se baissa, se mit en position de défense, et serra Crocs de l’égide comme jamais auparavant.

— Des visiteurs, murmura-t-il à ses amis.

Le sifflement de son chuchotement résonna, comme si les monolithes se gaussaient de sa discrétion.

Drizzt bondit vers la colonne la plus proche et entreprit de la contourner, en suivant le regard de Wulfgar toujours rivé sur l’endroit où il avait perçu un mouvement. Irrité de l’interruption, Bruenor tira une petite hache de sa ceinture et se tint aux côtés du barbare. Régis était derrière eux.

Puis ils entendirent Drizzt s’exclamer :

— Catti-Brie !

Ils furent trop soulagés et ravis pour se demander ce qui avait bien pu conduire leur amie jusqu’ici depuis Dix-Cités, ou comment elle avait bien pu les retrouver.

Leurs sourires disparurent lorsqu’ils la virent. Elle était couverte de bleus, ensanglantée et titubait vers eux. Ils se précipitèrent à sa rencontre, mais le drow, soupçonnant qu’elle était poursuivie, se glissa parmi les monolithes et fit le guet.

— Qu’est-c’qui t’amène ? s’exclama Bruenor en agrippant Catti-Brie et en la serrant contre lui. Et qui t’a fait du mal ? J’vais lui tordre le cou !

— Et il tâtera de mon marteau ! ajouta Wulfgar, enragé à l’idée que quelqu’un ait pu frapper Catti-Brie.

Régis se fit encore plus petit. Il commençait à soupçonner ce qui s’était passé.

— Gardefeu Mallot et Grollo sont morts, dit Catti-Brie à Bruenor.

— Sur la route, avec toi ? Mais, pourquoi ? demanda le nain.

— Non, à Dix-Cités, répondit Catti-Brie. Un homme, un tueur, y était, à la r’cherche de Régis. J’suis partie à sa poursuite, essayant d’vous r’trouver et d’vous avertir, mais il m’a capturée et m’a entraînée avec lui.

Bruenor jeta un regard furieux au halfelin qui se tenait encore plus loin et baissait la tête.

— J’savais que t’étais dans une situation périlleuse quand t’as couru derrière nous en quittant les Cités ! maugréa-t-il. C’est quoi, alors ? Et plus d’contes à dormir debout !

— Il s’appelle Entreri, admit Régis. Artémis Entreri. Il vient de Portcalim, de Pacha Amas. (Régis sortit le pendentif en rubis.) Pour ça.

— Mais il n’est pas seul, ajouta Catti-Brie. Des mages de Luskan recherchent Drizzt.

— Pour quelle raison ? lança Drizzt depuis son poste de guet dans l’ombre des monolithes.

Catti-Brie haussa les épaules.

— Y font attention à ne rien dire, mais j’pense qu’y sont en quête de réponses concernant Akar Kessell.

Drizzt comprit tout de suite. Ils étaient à la recherche de l’Éclat de cristal, la puissante relique qui avait été ensevelie dans l’avalanche sur le Cairn de Kelvin.

— Combien ? demanda Wulfgar. Et à quelle distance ?

— Ils étaient trois, répondit Catti-Brie. L’assassin, une magicienne, et un soldat de Luskan. Ils avaient un monstre avec eux. Un « golem » qu’ils disaient, mais j’n’en ai jamais vu un de cette sorte.

— Un golem, répéta doucement Drizzt.

Il avait vu bon nombre de telles créatures dans la cité de l’Outreterre des elfes noirs. Des monstres très puissants et dont la loyauté envers leurs créateurs était absolue. Ces individus devaient être de redoutables adversaires, en effet, s’ils en avaient un avec eux.

— Mais la créature est morte, poursuivit Catti-Brie. Il m’a poursuivie et m’aurait rattrapée, pas de doute, mais j’lui ai joué un tour et lui ai fait dégringoler une montagne de roches sur la tête !

Bruenor la serra de nouveau contre lui.

— Bon travail, ma p’tite ! murmura-t-il.

— Et la dernière fois qu’j’ai vu le soldat et l’assassin, ils étaient engagés dans un combat terrible, continua Catti-Brie. L’un d’eux est mort, j’pense, et sûrement le soldat. C’est dommage, car c’était pas un mauvais bougre.

— Il aurait eu affaire à ma lame pour avoir aidé les chiens ! riposta Bruenor. Mais assez bavardé, on aura l’temps de l’faire plus tard. T’es au hall, fillette, tu l’savais, ça ? Tu vas pouvoir voir de tes yeux les splendeurs dont j’te parle depuis toutes ces années ! Alors viens et repose-toi un peu.

Il se retourna pour demander à Wulfgar de veiller sur elle, mais remarqua Régis à la place. Le halfelin avait l’air désespéré. Il gardait la tête baissée et se demandait s’il n’avait pas poussé ses amis trop loin cette fois-ci.

— Ne crains rien, mon ami, lui dit Wulfgar en remarquant lui aussi la détresse de Régis. C’est ton instinct de survie qui a guidé tes actes. Il n’y a pas de honte à avoir. Mais tu aurais dû nous dire que nous courions un danger !

— Ah, relève la tête, Ventre-à-Pattes ! dit Bruenor sèchement. On s’attendait pas à autre chose de toi, filou que t’es, t’imagine pas qu’on soit étonnés ! (La rage de Bruenor qui le brûlait de l’intérieur, nourrie de sa propre volonté, s’amplifia soudain alors qu’il fustigeait le halfelin.) Comment as-tu pu oser nous jouer un tour pareil ? rugit-il en écartant Catti-Brie et en faisant un pas en avant. Et alors que j’avais l’espoir de r’trouver ma patrie !

Wulfgar ne perdit pas de temps pour s’interposer, même s’il était réellement stupéfait du soudain changement chez le nain. Il n’avait jamais vu Bruenor sous l’emprise d’une telle émotion. Catti-Brie, elle aussi, l’observait, ébahie.

— C’était pas d’la faute du halfelin, dit-elle. Et les mages s’raient venus de toute façon !

Drizzt revint vers eux à ce moment-là.

— Personne n’est encore arrivé à l’escalier, dit-il. Mais lorsqu’il se tourna vers eux, il se rendit compte que ses paroles n’avaient pas été entendues.

Un long et pesant silence se prolongea, puis Wulfgar réagit.

— Nous n’avons pas fait tout ce voyage et traversé toutes ses épreuves pour nous disputer et batailler entre nous ! dit-il à Bruenor.

Bruenor le regarda sans le voir ne sachant pas comment se comporter face à la réaction de Wulfgar qui ne lui tenait d’ordinaire jamais tête.

— Pouah ! dit finalement le nain en levant les mains pour exprimer sa frustration. Le bouffon d’halfelin va causer not’perte… mais pas besoin de nous en faire ! grommela-t-il d’un ton sarcastique, retournant vers la paroi pour chercher la porte.

Drizzt regarda le nain maussade avec curiosité, mais c’est Régis qui l’inquiétait le plus. Le halfelin, consterné, s’était assis et semblait avoir perdu tout désir de continuer.

— Courage, lui dit Drizzt. La colère de Bruenor passera. L’essence de ses rêves est devant lui.

— Et pour ce qui est de l’assassin qui veut ta tête, dit Wulfgar en rejoignant les deux amis, il ne sera pas déçu de l’accueil qu’on va lui faire lorsqu’il arrivera, s’il arrive un jour. (Wulfgar caressa la tête de son marteau.) Nous pourrons peut-être lui faire changer d’avis quant à cette traque !

— Si nous pouvons entrer dans les mines, ils perdront peut-être notre trace, dit Drizzt à Bruenor pour essayer d’apaiser la colère du nain.

— Y vont pas arriver à l’escalier, ajouta Catti-Brie. J’ai eu du mal à l’trouver, même en vous voyant le descendre !

— Je préférerais me mesurer à eux maintenant ! déclara Wulfgar. Ils ont beaucoup de choses à expliquer et ils n’échapperont pas à mon châtiment pour la manière dont ils ont traité Catti-Brie !

— Méfie-toi de l’assassin, l’avertit Catti-Brie. Ses lames portent la mort, faut pas s’faire d’illusions !

— Et un magicien peut être un ennemi redoutable, ajouta Drizzt. Une tâche plus importante nous attend : nous n’avons pas besoin de nous engager dans des combats que nous pouvons éviter !

— Pas question d’attendre ! dit Bruenor, en prévenant ainsi toute protestation du grand barbare. Castelmithral est devant nous et j’ai l’intention d’y entrer ! Qu’ils nous suivent, s’ils en ont l’audace ! (Il se retourna vers la paroi pour continuer à chercher la porte, et demanda à Drizzt de l’aider.) Fais le guet, garçon, ordonna-t-il à Wulfgar. Et veille sur ma fillette.

— Un mot pour l’ouvrir, peut-être ? demanda Drizzt lorsqu’il fut de nouveau seul avec Bruenor devant la paroi nue.

— Ouais, dit Bruenor, y a bien un mot. Mais la magie qui y est liée disparaît après un certain temps, et il faut choisir un autre mot. Personne n’était là pour le faire !

— Essaie l’ancien mot, alors.

— J’l’ai fait, elfe, une dizaine de fois quand on venait d’arriver. (Il frappa la pierre du poing.) Y a un autre moyen, j’le sais, maugréa-t-il, furieux.

— Tu vas t’en souvenir, lui assura Drizzt.

Et ils continuèrent à inspecter la paroi.

Mais même l’entêtement d’un nain ne paie pas toujours. La nuit tomba et les amis étaient assis dans le noir. Ils n’avaient pas trouvé l’entrée et n’osaient pas allumer de feu par crainte d’alerter leurs poursuivants. Parmi toutes les épreuves qu’ils avaient traversées sur la route, l’attente alors qu’il touchait au but était peut-être la plus difficile. Bruenor commença à douter de lui-même, se demandant si la porte était même bien là. Il récita encore et encore le poème qu’il avait appris étant enfant, à Castelmithral, et cherchait des indices qui auraient pu lui échapper.

Les autres dormirent d’un sommeil agité, surtout Catti-Brie, qui savait que la mort silencieuse de la lame d’un assassin les guettait. Ils n’auraient pas pu dormir du tout s’ils n’avaient pas su que les yeux alertes et vigilants d’un elfe drow veillaient sur eux.

 

***

 

Quelques kilomètres derrière eux, un camp similaire avait été installé. Entreri était immobile, il scrutait les chemins des montagnes de l’est à la recherche de signes d’un feu de camp. Mais il doutait que les amis soient suffisamment inconscients pour en allumer un si Catti-Brie les avait retrouvés et avertis. Derrière lui, Sydney reposait, enveloppée dans une couverture posée sur la pierre froide, elle récupérait du coup assenée par Catti-Brie.

L’assassin avait pensé à l’abandonner – il l’aurait normalement fait sans la moindre hésitation -, mais Entreri avait besoin d’un peu de temps pour réfléchir et déterminer quelle était la meilleure marche à suivre.

L’aube se leva et le trouva toujours immobile, méditant. Derrière lui, la magicienne se réveilla.

— Jierdan ? appela-t-elle, hébétée. Entreri se retourna et se pencha sur elle.

— Où est Jierdan ? demanda-t-elle.

— Mort, répondit Entreri, sans aucune trace de remords dans la voix. Et le golem aussi.

— Bok ? dit Sydney avec horreur.

— Une montagne est tombée sur lui, répliqua Entreri.

— Et la fille ?

— Partie. (Entreri regarda vers l’est.) Une fois que je me serai occupée de toi, je vais partir, dit-il. Notre poursuite est finie.

— Ils sont proches, riposta Sydney. Tu vas renoncer à retrouver ta proie ?

Entreri sourit méchamment.

— Le halfelin sera à moi, dit-il tranquillement. (Et Sydney ne douta pas de sa détermination.) Mais notre groupe est dissous. Je vais reprendre ma propre chasse, et toi la tienne. Je t’avertis, si tu prends ce qui m’appartient, tu deviendras ma prochaine proie.

Sydney médita ces paroles.

— Où Bok est-il tombé ? demanda-t-elle soudain.

Entreri regarda le long d’un chemin vers l’est.

— Dans un Val, après le bosquet.

— Emmène-moi là-bas, insista Sydney. Il y a quelque chose que je dois faire.

Entreri l’aida à se mettre debout et la guida le long du chemin, se disant qu’ils se quitteraient une fois qu’elle aurait fait ce qu’il lui restait à faire. Il en était venu à respecter la jeune magicienne et son sens du devoir, et il était sûr qu’elle ne le trahirait pas. Sydney n’était pas un magicien ni un adversaire à sa mesure et ils savaient tous les deux que le respect qu’elle lui inspirait ne retiendrait pas sa lame si elle se mettait en travers de son chemin.

Sydney observa la pente rocheuse pendant un moment, puis se tourna vers Entreri, un sourire entendu sur le visage.

— Tu dis que notre association est finie, mais tu te trompes. Nous pourrions encore être utiles l’un à l’autre, assassin.

— Nous ?

Sydney se tourna vers la pente.

— Bok, cria-t-elle et elle garda les yeux rivés sur la pente.

Une expression étonnée apparut sur le visage d’Entreri. Il se mit lui aussi à inspecter les pierres, mais ne discerna aucun mouvement.

— Bok ! appela de nouveau Sydney, et cette fois il y eut vraiment un signe d’activité.

Un grondement s’amplifia sous les rochers, puis l’un d’eux s’ébranla et s’éleva : le golem se tenait debout dessous et s’étirait. Meurtri et tordu, mais ne ressentant apparemment aucune douleur, Bok jeta l’énorme pierre sur le côté et s’approcha de sa maîtresse.

— Il n’est pas si facile de détruire un golem, expliqua Sydney en se réjouissant de l’expression stupéfaite qui se lisait sur le visage habituellement impassible d’Entreri. Bok a encore du chemin à faire, un chemin qu’il ne va pas abandonner si vite.

— Un chemin qui va nous conduire de nouveau au drow, dit Entreri en riant. Viens, ma compagne de route, dit-il à Sydney, reprenons la poursuite.

 

***

 

Lorsque l’aube se leva, les compagnons n’avaient toujours pas trouvé d’indices. Bruenor était debout devant la paroi. Il psalmodiait à voix haute des incantations mystérieuses, la plupart n’ayant rien à voir avec un sésame.

Wulfgar adopta une autre tactique. Partant de l’idée qu’un écho creux l’aiderait à s’assurer qu’ils étaient au bon endroit, il se déplaça le long de la paroi en pressant l’oreille contre la pierre, et en donnant de petits coups avec Crocs de l’égide. Le marteau tinta au contact de la pierre solide, chantant, comme un hommage à la perfection de son façonnage.

Un des coups légers n’atteignit pas son but. Wulfgar frappa de la tête de son marteau, mais au moment de toucher la pierre, il fut arrêté par un voile de lumière bleue. Wulfgar sauta en arrière, surpris. Des ondulations apparurent dans la pierre, les contours d’une porte. La roche continua à bouger et à glisser vers l’intérieur, et elle glissa bientôt sur le côté, dégageant une partie de la paroi, révélant le hall d’entrée qui menait à la patrie des nains. Un souffle d’air, enfermé depuis des siècles et emportant avec lui les senteurs d’époques révolues, les frôla en s’échappant.

— Une arme magique ! s’écria Bruenor. Le seul objet que mon peuple puisse accepter dans les mines !

— Lorsque des visiteurs venaient, ils entraient en tapant la porte avec une arme magique ? demanda Drizzt.

Le nain hocha la tête en signe d’acquiescement, bien que son attention soit désormais entièrement tournée vers l’obscurité devant eux. La chambre qui se trouvait directement devant eux n’était pas éclairée si ce n’est par la lumière du jour qui entrait par la porte ouverte, mais tout le long d’un corridor qui partait derrière l’entrée, ils pouvaient voir le tremblement de torches.

— Quelqu’un est là, dit Régis.

— Non, répliqua Bruenor. (De nombreuses images de Castelmithral oubliées depuis longtemps lui revenaient à la mémoire.) Les torches ne s’éteignent jamais, elles brûlent pendant toute la durée de la vie d’un nain et plus longtemps encore.

Il franchit le seuil et donna un coup de pied dans la poussière qui s’était déposée et n’avait pas été touchée depuis deux cents ans.

Ses amis le laissèrent se recueillir un moment, puis le rejoignirent avec solennité. La chambre était jonchée des restes de nombreux nains. Une bataille avait eu lieu ici, la bataille finale du clan de Bruenor avant qu’ils aient été chassés de leur patrie.

— J’en crois pas mes yeux, les histoires sont vraies, marmonna le nain. (Il se tourna vers ses amis pour leur donner une explication.) Les rumeurs qui sont parvenues à Calmepierre une fois que les plus jeunes nains et moi y étions arrivés parlaient d’une grande bataille dans le hall d’entrée. Certains y retournèrent pour voir si elles étaient fondées, mais ils ne revinrent jamais.

Bruenor s’interrompit et les compagnons inspectèrent les lieux. Des squelettes de la taille de nains gisaient partout, dans la position et à l’endroit où ils étaient tombés. Des armures en mithral, ternies par la poussière mais sans rouille, et qui brillaient de nouveau dès qu’on les essuyait, désignaient clairement les morts du clan Marteaudeguerre. D’autres squelettes similaires dans des cottes de mailles d’une facture étrange étaient entremêlés avec ces morts, comme si le combat avait opposé des nains les uns contre les autres. C’était une énigme qui dépassait les habitants de la surface, mais Drizzt Do’Urden comprenait. Dans la cité des elfes noirs, il avait croisé des duergars, les nains gris malveillants, en tant qu’alliés. Un duergar était l’équivalent, chez les nains, d’un drow, et parce que leurs cousins qui vivaient à la surface fouillaient parfois profondément la terre, et dans le territoire qu’ils revendiquaient comme étant le leur, la haine entre les races naines était encore plus intense que l’affrontement entre les races d’elfes. Les squelettes de duergars en disaient long à Drizzt et à Bruenor, qui reconnaissait lui aussi l’étrange armure, et qui comprenait pour la première fois ce qui avait chassé les siens de Castelmithral. Si les nains gris étaient toujours dans les mines, Drizzt le savait, il serait très difficile pour Bruenor de se réapproprier l’endroit.

La porte magique se referma derrière eux, assombrissant encore la chambre. Catti-Brie et Wulfgar se rapprochèrent l’un de l’autre par mesure de prudence, car ils ne voyaient pas bien dans la pénombre, mais Régis courut à droite et à gauche, à la recherche de gemmes et d’autres trésors qu’un squelette de nain était susceptible de posséder.

Bruenor avait lui aussi remarqué quelque chose d’intéressant. Il s’approcha de deux squelettes étendus dos à dos. Un amas de nains gris était tombé autour d’eux et c’est ce qui révéla à Bruenor l’identité des deux guerriers avant de voir le blason de la chope mousseuse sur leurs boucliers.

Drizzt s’approcha et se tint derrière lui, mais à une distance respectable.

— Bangor, mon père, expliqua Bruenor. Et Garumn, le père de mon père, le roi de Castelmithral. Pour sûr, ils en ont abattu avant de tomber eux-mêmes !

— Aussi puissants que leur successeur, remarqua Drizzt.

Bruenor accepta silencieusement le compliment et se pencha pour épousseter le casque de Garumn.

— Garumn porte encore l’armure et les armes de Bruenor, le héros de mon clan, en l’honneur de qui je porte le nom. J’pense qu’ils ont maudit ce lieu en mourant, dit-il, car les gris ne sont pas revenus le piller.

Drizzt était d’accord avec l’explication, conscient de la puissance de la malédiction d’un roi lorsque sa patrie est tombée.

Bruenor souleva avec révérence les restes de Garumn et les porta dans une chambre qui s’ouvrait sur un côté. Drizzt ne le suivit pas. Il respectait le besoin de solitude de son ami. Il revint vers Catti-Brie et Wulfgar pour les informer de l’importance de la scène qui se déroulait autour d’eux.

Ils attendirent patiemment pendant de nombreuses minutes en imaginant le déroulement de la bataille épique et en entendant en imagination les bruits des haches sur les boucliers, et les vaillants cris de guerre du clan Marteaudeguerre.

Puis Bruenor revint. Et même les images fortes que les compagnons avaient imaginées ne pouvaient approcher de ce qu’ils virent devant eux. Régis laissa tomber les quelques colifichets qu’il avait trouvés, complètement stupéfait, et craignant qu’un fantôme soit revenu du passé pour le contrarier.

Le bouclier cabossé de Bruenor avait été mis de côté. Le casque bosselé et qui n’avait plus qu’une corne était fixé à son sac à dos. Il portait l’armure du héros de son clan, en mithral étincelant. Le blason de la chope était frappé sur le bouclier en or massif, et le casque était bordé d’un millier de pierres précieuses scintillantes.

— Par ce que j’ai vu de mes yeux vu, je proclame que les légendes sont vraies, cria-t-il résolument en brandissant la hache en mithral au-dessus de sa tête. Garumn est mort et mon père aussi. Je revendique donc mon titre : Huitième Roi de Castelmithral !

Les Torrents D'Argent
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